Les poèmes ne seront plus numérotés mais présentés par ordre décroissant de parution dans le site
Septembre 2022
André Morel
Chemin sec
Face à face
La vigne à ras
Et l’autre, en désordre
Excroissance et mystère
Janus de l’Homme
Sauvage
Et dans le rang
Le 2 janvier 2011
Poème 1
André Morel
La mer.
Silence bleu.
Éclats de vitres.
Éphémère triomphe d’Éternité.
Poème 2
André Morel
La cigale
Ne connaît pas
Le froid opaque de l'hiver
Elle exaspère
Le sommet perché de l'été
Et meurt
Desséchée et transparente
Délivrée
De l'obsession de ses stridences.
Août 2001
Poème 3
André Morel
Appréhender
de tout son corps
Comprendre
sans penser
Rejoindre
sans écran
la texture des roches
les fibres nues du bois
le diaphane de l'eau
Abolir
un instant
toute distance
avec l'objet
Et vivre
pleinement
entre le temps et la mémoire
entre le vacarme futur
et les pas feutrés de l'oubli
30 août 1976 / Le pain des mots
Poème 4
André Morel
S
OLEILDeux sauterelles
L'une sur l'autre
Simple addition
Pour amour immobile.
Et mathématique
l'ovoïde
Du ciel bleu
Expansé jusqu'au néant.
NOIR
André Morel. Le 18 mars 2004
Poème 5
Une vipère de sang noir
Se faufile entre les cailloux.
C'est un imperceptible instant
Un bruissement sec de feuillage.
Au loin — lové dans la mémoire —
S'agite un rêve ou un regret.
17 mars 1974 /Le pain des mots
Poème 6
Sépulture
Terre ouverte.
L'absence enserre
l'impatience des minutes.
Reste
le vierge de l'espace
et la neige du temps suspendu.
Janvier 2000
L
A CORNEILLESon chant
Goutte d’eau
Son pas
Le papier froissé de ses ailes
Son bec
De blé
Fouisseur
D’herbes sèches
Ses sauts
De noire curiosité
Avant la disparition de son ombre
Le 19 avril 2010
Poème 8
Séparation
Ton regard détaché du mien
Glisse à travers la vitre froide.
Et ton départ m’ouvre au néant
Où la mort palpite dans l’ombre.
Cet autre moi écartelé
Au-delà des collines blêmes
Se referme sur sa douleur.
Et cette fleur de poison calme
Décrit par avance un matin
Où l’un de nous ne sera plus
– dans l’espace du souvenir –
Que ce visage déchiré
Que ce visage à contre-jour
Sur la tempe de la mémoire.
9 mars 1975
Poème 9
Pour un espoir fané
sur le creux de l’oubli
se meurt le souvenir
des algues
de l’enfance
Un oiseau sous la mer
s’envole en déraison
Poème 10
Être prêt
Se mouvoir auprès de la mort
Se promener dans son sillage
Éclabousser d’embrun ses yeux
Tournoyer au creux de ses algues
Puis tout à coup
briser la vie
et voir l’oubli
et l’étreindre à cœur déployé.
Le 22 avril 1973
Poème 11
ÉTÉ
Dans la glace
Un reflet
De corps bruni
Par les lavandes
La senteur
De la pierre
Engorgée
De soleil
Un bouquet
Sur la table
Aux boutons d’or
Graciles
Fusant
Entre les tiges
Et pailles
Mordorées
La journée se dessine
En rocailles calcaires
En touffes de thym vieux
Desséchées par les vents
Le 20 mai 1973
Poème 12
Vivre
Le poème comme un refus
de l’absurdité mécanique
une étape vers soi
descendant par les mots
une survie posée
sur le cri – identique-
de l’homme collectif
un réflexe bercé
sur le lac des stridences
le poème insufflé
aux glacis des tombeaux.
Le 20 mai 1973
Poème 13
Répression
Filaments de blé mûr
dans les yeux de l’angoisse
Des phantasmes d’horreur
saccagent le soleil
sur les rouges taches du sang
Un cri sur le silence
Et le cheval dénaturé
glace de noir son cœur
aux sources de l’instant
Le 3 février 1975
Poème 14
Vite
Sables mouvants souillés
Cascades purulentes
Lacs d’égouts engorgés
Forêts où meurt la vie.
Il faut se souvenir
Des pistes dans la neige
De la tiédeur d’avril
Au souffle d’un oiseau
De l’été, sec, pointu,
Rocheux – comme un poème –
Dénudé comme un corps.
Il faut se souvenir
Des branches de l’automne
Couleur de l’ocre au brun
sur les calendriers.
Il faudra bien s’en souvenir
10 septembre 1973
Poème 15
Imperceptible à l'œil nu,
pas encore consciente de soi,
à peine vapeur d'un frémissement,
l'ombre d'une perception,
l'espoir incertain d'un avenir humide
et la patience d'une lente gestation,
de tout son instinct,
elle espère.
Ni œuf ni chrysalide.
Ni membrane en devenir.
Seule une intuition d'être,
un rêve d'éclosion.
Puis l'émotion d'une forme qui prend vie,
ronde, souple, transparente, fragile.
Et la lumière qui fait exister la brillance
de cette goutte d'eau en équilibre sur une aiguille de pin.
Elle s'ouvre à l'odeur,
innocente,
aux oiseaux,
à la plénitude de la terre ensoleillée qui s'évapore après l'averse.
Aussi éphémère et impatiente que la Cigale,
Affamée de vivre, elle absorbe et reflète le monde, son trop plein.
S'en émeut,
s'affole,
s'angoisse,
gorgée d'horreur,
avant de se laisser choir sur une pierre
et d'éclater en une violente et insondable flaque de sang.
André Morel
Le 18 mai 2021
Poème 16
Aurore
Pas un bruit
seul l'avers du silence
Pas un bruit
hormis l'oxygénation ténue de l'herbe
Pas un bruit
sauf le vacarme invisible du jour qui vient
le 27 août 2021
Poème 17
De quoi voulez-vous me parler ?
De vos partis de vaines luttes
De vos paroles étriquées
De vos éructations pour rien
De vos révoltes de mensonge
De vos militantes fredaines
De vos haines codifiées
De vos hiérarchies souveraines ?
Comment pourriez-vous me parler ?
Sans le bruissement de l'orage
Sans le souffle d'un champ de blé
Sans la houle d'un paysage.
Je suis du printemps rocailleux
De la haute plaine calcaire
Du déracinement herbeux
Du désert, en plaques, érodé
Des étés torrides sans eau
Des hivers de douceur qui rêve
Je suis d'un village isolé
Je suis des bois
Je suis des terres
Je suis des branches desséchées
Je suis du vent sur les ravines
Je suis de ceux,
têtus
debout
prudes de mots,
qui vont des sources oubliées
jusqu'à la caresse des morts.
Poème 18
Point mort.
Je ne sens plus les vibrations,
les trépidations du passé.
Point sec.
Je ne perçois plus les violences
de mes brûlures emprisonnées.
Point nu.
Jusqu’au cœur desséché des algues.
Point mot.
Point temps.
Assoupi,
accroupi,
végétal.
Un fauve se repaît dans la luxuriance verte.
Un oiseau étourdi se soûle de chansons.
Mais le rêve perd pied
sur le flanc des collines.
Sa vérité se meurt.
Le Point s’est fait raison.
Le 7 août 1974
Poème 19
Voyage vers la Guyane
Ce voyage n'est pas le mien
Incongrus,
mon souvenir,
mon départ,
l'avion arraché au sol,
son survol froid sur la cartographie du paysage,
le métal de son aile sur la routine molle des nuages.
Ce voyage n'est pas le mien,
mais le périple d'un autre temps,
d'autres transports pour d'autres hommes.
Ceux qui prirent la mer,
le regard aveuglé d'acier au rasoir de la vague,
des résidus d'humains excrétés vers ce bout de France et verminés de pestilence.
Ce voyage n'est pas le mien.
Il est mémoire de bateaux, du carcan, de la chaîne et du boulet, de la partance sans retour.
Il est pour ceux qui foulèrent la terre,
son ressac de poison aigre sous les poings grêlés de la pluie,
sans savoir que demain
demain viendrait
l'invasion infectée, harcèlement invisible,
qui fait gonfler la peau
corrode les os
vide le ventre
saigne l'espoir
mais nourrit la patience,
arme l'esprit,
forge la révolte.
Et moi,
Sur le balcon de mon hôtel exotisé, climatisé,
j'aseptise ma vue sur l'eau si douce, translucide et filtrée de la piscine.
Cayenne, le 3 décembre 2010